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graphomane

30 décembre 2005

Jeunesse Exquise

1.

Ma caverne est étriqué, assis sur ma chaise je peux toucher les deux murs en levant les bras. Les murs semblent être de papier mâché, à droite Skirock envoie un nouveau jingel, à gauche France Info annonce une nouvelle catastrophe, la fenêtre donne sur l’autoroute si je l’ouvre elle déversera des kilowatts de rage motorisée, va pour la stéréo Skyfranceinfo.

Six mètres de long, un et demi de large. Un petit couloir. Dans lequel, il y a une armoire, une table un lit, une chaise, un réveil digital offert par l’administration le jour d’admission. Dans l’armoire mes affaires ont du faire semblant de bien se ranger, elles n’aiment pas ça, elles en ont perdues leurs couleurs. Skyrock s’est tu au milieu d’une publicité, le relatif silence s’épanouit dans mon corps, je commence à m’éclaircir les idées. C’est peut-être pas une bonne idée de se les éclaircir. Si je commence à penser je vais craquer, je le sais. C’est l’heure de manger, il est sept heure, il faut que je descende au réfectoire. Manger c’est s’atteler au sol, il ne faut surtout pas que je décolle.

Je sors, ferme ma porte à clés Traverse le couloir. Descend les escaliers. C’est mécanique, c’est la routine à laquelle je m’accroche fermement. La cantine n’a pas changé de menu, je suis sensé aller m’asseoir avec les autres, je me trouve une place loin de tout le monde. Merde la grosse fiotte qui se ramène, elle va peut être aller chez les plus nombreux, non évidement  pour ma pomme, elle me demande si elle peut comme si j’avais le choix , elle s’assoit juste en face. J’ingurgite, je ne sais pas quoi lui dire alors je me tais, elle a eut des bonnes appréciations de mes professeurs, c’est bien lui dis-je et m’excuse maladroitement, ouf, c’est fini. Je file.

Je retrouve ma caverne, ma cellule, le ventre bondé, maintenant c’est la radio qui est reparti de plus belle, je ne peux plus me concentrer, tant mieux.

Dans quelques minutes viendra M.Machin cocher la case qui me correspond, il me posera une question idiote, je répondrai avec un sourire idiot. Peut être sera t-il accompagné par le gradé, celui là viendra voir si mon lit est bien fait, et puis il faudra montrer un air réjouis et convaincu pour qu’il gicle.

M. Maurice, le gradé, par son petit nom faut l’appeler, il fait le jeune décontracté, rentre dans la chambre d’autorité, j’ai pas réussi le coup du réjoui de la vie, il m’a bassiné une demi heure. Bon c’est terminé, plus personne qui traîne dans les couloirs, plus de bruit.

Allons y.

2.

Je suis  dans une grande surface, un de ces petit villages uniquement composés de magasins. Je traîne ici depuis quelques heures. C’est étrange, je suis dans un monde parfaitement réfléchi, où chaque objet a été placé sciemment, pas de hasard dans l’agencement des boutiques, la musique de fond donne sa cadence a cet ensemble savamment organisé, je me rend compte de cette organisation et elle me fascine, j’essaye de lire les signes invisibles au premier abord qui donneraient la clé de l’endroit, pour le comprendre.

Je sais que je suis repéré, la radio  par le choix de ces tubes m’a fait comprendre que c’est moi qui mène la danse, je compose, eux s’occupent de mettre à exécution, je suis un itinéraire sensé influencer ceux qui me regardent, le moment est critique, ou bien je danse au rythme qu’ils imposent ou mes pas feront le rythme de la maison.

Les garages aussi sont remplis de signes, ils sont codés, peut-être qu’en réussissant à les déchiffrer je comprendrais l’extérieur. Déjà je me sens une intimité avec le bâtiment, je sens que nous avons des choses à nous raconter, qu’il a seulement commencé ses confidences. Connaître l’envers du décors.

Maintenant que je suis à nouveau dans ses allées, je me sens plus chez moi, j’ai l’impression de partager un secret avec tout le monde, sans qu’on ait rien à dire, la même plaisanterie nous unie mais si nous la dévoilons elle se termine. Clients et employés du magasin dans le même scénario, chacun avec son rôle particulier dans l’oeuvre générale. J’entend des bribes de conversations par ci par là, évidement tout le monde parle de la même chose, chacun avec sa façon particulière de la voiler.

Il faut que je trouve le moyen de prendre les choses directement en mains, ça y est, j’ai parfaitement compris comment l’endroit tourne, fonctionne. Il ne me reste plus qu’à saisir un levier pour l’amener à danser. Ils vont sûrement m’envoyer un message clair, venir d’un instant à l’autre pour que je mette l’ambiance. Je pense que le mieux, pour commencer, c’est de mettre la musique, c’est discret et ça influe sur tout le monde.

Il en a un qui cours. C’est lui, le messager, je pars au quart de tours. Je le suie. Il prend la tangente, une porte. J’entend, qu’on m’appelle, mais je ne lâche pas l’affaire et prend la porte aussi. Il est là six mètres devant, je le somme de s’arrêter. Mais il a quelqu’un qui m’a arrêté, il m’empêche de poursuivre. C’est un flic. Il veut me mettre des menottes et me pose des questions. J’essaye de lui expliquer qu’il faut que je rattrape le gars devant, mais déjà c’est perdu, il a filé. Moi je vais avec le bonhomme bleu.

Bon, plan de défense: je ne dirais rien.

Le centre commercial a même son petit poste de police, un vrai petit village, ils me demandent des choses. Je m’en tiens à mon plan. Ne rien dire est le meilleur moyen de ne pas se compromettre.


3.

Je me lève, c’est le bipbip rageur du réveil offert par l’administration qui m’a sorti de mon sommeil comateux, la lumière grise du jour m’a donné la paresse qui en d’autres temps se serait transformée en une journée passé au lit, à bouquiner sans chercher à savoir ce que le monde peut me réserver. Mais des détails, l’odeur des draps, la puanteur de la couverture, me rappelle du lieu où je me trouve, et il est préférable de se tirer.

Je me traîne jusqu’aux douches, mon savon sent la pauvreté aseptisée comme tout le reste.

Mes habits se posent sur mon corps maladroitement, ils ont envie d’avoir une marque à la mode pour se décider à se plaire où ils sont, ils préfèrent se cacher, se montrer informes et uniquement utiles à cacher les membres qu’ils recouvrent.

Je descend, il fait à peine jour, un morceau de baguette et une portion de confiture en pot plastique m’attendent à côté d’un chocolat chaud dans une tasse, je n’ai pas le temps d’attendre qu’il refroidisse, je me brûle la langue avant de laisser tout en plan pour ne pas perdre le bus, déjà les autres courent.

J’ai froid, je ne me suis pas décidé à me réveiller complètement, finalement je sombre à nouveau.

Le bus est arrivés, nous nous dispersons alors que beaucoup allons au même lycée, nous avons tous décider tacitement que nous nous ne connaissions pas  en dehors du Foyer.

Il fait encore froid et je n’ai toujours pas envie de me réveiller. Je passe prendre des clopes, le tabac fait son effet, quelques brumes se dispersent. 

Je suis encore en avance, une autre cigarette et des camarades commencent à arriver, des jolies filles que je n’ose pas regarder si tôt le matin, c’est trop illuminé, ça sent trop bon, des granuleux qui me donnent envie de vomir, d’autres pas lavés qui sentent la nuit solitairement agitée, décidément je préfère rester la tête baissée.

Le cours a finit par m’emballer, après m’être retenu j’ai craqué, levé la main et contredit. C’est une habitude, si j’entend quelque chose qui m’intéresse je lève la main et contredit. Les professeurs sont convaincus que je suis un garçon intelligent mais je les contredit et ils sont obligés de me mettre des notes médiocres, pire: passables. Les autres, mes camarades se sont habitués, certains s’amusent encore de mon travers, les autres cessent d’écouter et commencent une discussion avec le voisin.

La cour est bondée, je ne sais pas où me mettre. J’essaye avec un petit groupe, mais ça ne marche pas, j ‘aimerais bien me réfugier tout seul dans un coin sans que ça se voit trop, c’est difficile, j’ai l’impression qu’on me remarque dix fois plus lorsque je suis seul, et j’aime pas qu’on remarque que je suis seul.

Le réfectoire comme son nom l’indique est dégueulasse, de même que sa bouffe. Le plateau tenu à deux mains, le sac au dos je cherche quelqu’un de connu pour m’asseoir, j’abandonne cette idée et cherche une table sans personne, quitte à être seul autant l’être tranquillement.

L’après midi est longue.

J’attend le bus qui me ramène au Foyer, il ne sera pas là avant une demi heure que je tue assis sur un banc.


4.

Ils m’ont remis les menottes, je proteste pour la forme. Ils devraient me relâcher, puisque je n’ai commis aucun vol, je commence à penser que j’aurais mieux fait de répondre, surtout que leurs questions sont étranges, le gros moustachu veut savoir si j’entend des sons stridents, si je lui avait répondu, ils m’auraient peut-être foutu la paix.

Il y a deux jeunes, une fille un garçon flics impeccablement bien repassés, qui sont arrivés. Le moustachu m’a enlevé les menottes, la fille a sorti les siennes pour me les passer aux poignets, ils doivent être cinglés, je préfère continuer à ne rien dire.

Ils m’amènent. La voiture sent le neuf, ça doit être une patrouille modèle: jeunes, propres, neufs, des deux sexes.

Le commissariat où nous allons est moins modèle. Sale, affairé et bordélique.

Je suis menotté à un banc. Je voudrais bien aller dans une cellule, réfléchir un instant. Mais ils m’ont oublié ici, il y a énormément de passages, pas moyen d’être tranquille un instant. Il y en a un qui m’a demandé mon adresse, un numéro de téléphone. Je préfère en sortir tout seul,  je ne me souviens pas avoir enfreint aucune loi, ils me font poireauter pour la forme, par habitude. Pas besoin d’alerter la famille, ça fait toujours mauvais genre de se faire ramener par les flics. Et puis, il n’y aucune raison pour que cela s’éternise, d’ici une heure je serais sorti. Je continu à ne rien dire.

Enfin, ils s’occupent de moi, ils m’emmènent à nouveau en voiture. A l’hôpital cette fois-ci, ils doivent vraiment être cinglés. Peut-être veulent ils me foutre en taule finalement. Je ne vois pas pour quel motif, mais bon. Je ne savais pas qu’une visite médicale était nécessaire pour cela, ce doit être des consignes de sécurité, des mesures anti-bavures.

Ils m’ont laissé avec un infirmier. Nous sommes là à attendre je ne sais quoi. Je lui demande, le docteur répond t-il. Je pensais que n’importe qui était capable de faire quelques analyses et un constat, il ne semble pas comprendre de quoi je cause. Alors je lui dit que j’en marre d’attendre parce que déjà j’ai fait la même chose au commissariat. J’ai envie de rentrer chez moi, d’après le bonhomme blanc ce ne sera pas long et je pourrais m’en aller. Espérons.


5.

La salle de télé est bondé. Van Damme casse la gueule à un chinois plus gros que lui. Je retourne dans ma chambre. Escaliers, couloirs, porte.

Je n’arrive pas à me concentrer sur les devoirs, j’allume une cigarette. J’ouvre la fenêtre pour la fumée, maton oblige. Encore l’autoroute et son bruit infernal qui se jette sur moi. Je reprend mon cahier, examine l’exemple et m’applique à refaire la même chose quinze fois, les devoirs sont fait.

Je retrouve Chandlers, Marlow a vraiment de la classe, son monde est glauque et pourtant j’ai tendance à le préférer au mien, ce n’est pas exceptionnel, je préfère les mondes de tous les livres comparés à celui qui se traîne devant mes yeux, mais je ne connais pas beaucoup de livres.

M. Machin est passé, il a fait une croix et est reparti. Une autre clope, l’autoroute s’est un peu calmée. 

On frappe doucement à la porte, c’est Mo, il est complètement défoncé. ça fait déjà un quart d’heure que je lui ai ouvert et qu’il parle sans discontinu. J’ai perdu le fil à la deuxième phrase mais je pense que lui aussi. Le son de sa voix se fait moins hargneux, bientôt il aura terminé.

Il s’est presque endormi en parlant puis à finit par partir.

Je n’ai pas sommeil, je descend. Je vais prendre une canette de coca au distributeur, je n’aime pas trop ça, c’est sucré collant mais je ne vois ce que je pourrais faire d’autre.

La nuit les choses ont une autre teinte, même ici. Je déambule dans l’édifice, il n’y a plus personne de réveillé, l’endroit semble moins sinistre et plus mystérieux.

Déjà deux heure, le matin sera douloureux.


6.

Il est arrivé dans une chaise roulante. Il est barbu, les cheveux lui arrivent jusqu’aux roues, les lunettes cachent ce qui reste. Il me regarde, il semble distrait par la nuée d’infirmiers et d’infirmes qui gravitent autour. Il n’a rien dit, mais lorsqu’il est parti le bonhomme blanc m’a expliqué que maintenant je pourrais partir. Tant mieux.

Mais je suis à nouveau dans une voiture de police, les gyrophares, la radio qui crachote des bouts de phrases obscures. J’essaye de comprendre la logique de cette radio, c’est comme une conversation à battons rompus entres des dizaines d’interlocuteurs dispersés dans la ville. J’ai l’impression que ce sont des plaisanteries qui s’échangent, on lance des vannes d’une auto à une autre. La fatigue m’entraîne dans un délire, un rêve absurde qui se passe dans une voiture de flics, je n’arrive pas à saisir ce que je fais là, les paroles ont des sens cachés. Et soudain ce qui se dit devient un brouhaha grinçant, l’inconnu en uniforme ouvre la bouche et des sons étranges en sortent, je souris pour ne pas montrer mon inquiétude, il s’énerve, il faut absolument que je trouve une intelligibilité, il faut que je réponde, je ne comprend pas, je ne comprend pas, ce rêve devient terrifiant, violent, je ne comprend pas, il faut que je réponde, il y a une réponse, il faut qu’il y est une réponse, enfin ma bouche s’ouvre, il en sort des sons aussi étranges que les autres, ça crachote comme la radio mais c’est moi qui émet. L’uniforme reprend sa forme originelle, la voiture arrête de zigzagué au milieu du flot, le policier redevient impersonnel. ça s’est calmé. Je respire, les taches de couleurs reprennent leurs places pour composer une image net et précise, la ville réapparaît, il fait un peu sombre. 

Le drapeau, à l’entrée du commissariat, est réconfortant. Il respire la confiance en des valeurs inébranlables auxquelles j’adhère. Je suis presque content de retrouver ma place, menotté au banc. Je n’ai pas compris le sens de la visite de Paris et l’hôpital, je n’ai passé aucun examen sanguin ou autre.

Le même banc me rassure, mais j’aimerais bien me retrouver un moment seul, j’ai besoin de réfléchir, ici je me fait l’effet d’un personnage de foire au milieu de tout ce passage. Les uniformes aussi me fatiguent, j’en ai trop vu aujourd’hui, ça sature. 


7.

Mo s’est collé. Le matin, c’est dur. Il s’est assis à côté de moi et j’ai l’impression qu’il continu le solo d’hier. Je crois discerner de la viande, des drogues et des armes. Pour la viande, il est commis de boucherie. Pour les drogues, il ne me semble pas l’avoir jamais vu sans. Je reste intrigué quand aux armes.

Deux feux. Ils sont à vendre mais pas séparément. J’accepte immédiatement, pour deux mille cinq, de prendre le second.

Il change de place et va brailler ailleurs, derrière, un Mo c’est con, deux jours à tourner autour du pot. Malgré tout, je suis nerveux, je me suis jeté sur l’occasion comme un naufragé sur une bouée, comme ils disent; ça cache quelque chose.

Le bus nous vomis, une autre journée devant moi; pareille à celle d’hier, à celle de demain.

J’ai changé de tabac, les sans filtres ont plus de goût, et j’aime recracher les petit morceaux qui se collent aux lèvres.

Devant la boulangerie, je reste fasciné par l’image que le miroir me renvoie, il doit y avoir plus d’une dizaine de kilos qu’à l’accoutumé sous une énorme tignasse et des lunettes d’intellectuel de bibliothèque, obtus. Je ne m’attendais pas à ça. Je comprend qu’il y est de moins en moins de gens qui m’abordent, c’est un mieux.

Je passe le pont qui surplombe l’autoroute en traînant ma bedaine, tout d’un coup j’ai l’impression qu’elle est terriblement lourde. En descendant les marches, je m’imagine une trop grosse tortue pour ses pattes, mais j’avance et même arrive en avance.


8.

Je gueule. Deux heures que je suis attaché ici. Je gueule.

Une nuée de policiers se précipitent sur moi, les coups pleuvent de tous cotés. Puis les choses s’ordonnent, deux me maintiennent;  les autres, chacun son tours, m’envoie le talon dans l’estomac, ça fait mal. Encore et encore, la douleur est chaque fois plus intense, j’ai l’impression que quelque chose explose dans le ventre, et ça recommence.

Je vois au fond du commissariat, sur fond bleu blanc rouge, écrite la déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Mon visage est inondée de larmes. Les coups se font plus espacés. Un de ces salauds m’attrape les cheveux et me postillonne quelque chose dans l’oreille. C’est absurde la méchanceté.

Je récupère, courbé sur mon ventre douloureux. Ma hargne est mélangée à de la tristesse. J’ai mal, je fixe le mur des mensonges, on croit à de ces choses!

   


9.

Ici personne ne vient à cette heure. Je lis des journaux qui doivent être destinés à d’autres, j’ai l’impression que la bibliothécaire me regarde avec une ironie qui dit que je suis en train de jouer un personnage sérieux qui lit des journaux, j’essaye de ne pas y penser et de me replonger dans l’article. Je n’y arrive plus. Dommage. Parfois je suie un fil, un raisonnement, et c’est plus passionnant que les livres qui donnent des univers à dévorer.

La pelouse est un peu humide, c’est pour cela qu’il n’y a personne. Aujourd’hui, le lycée semble vide, c’est bizarre, logiquement il devrait y avoir sensiblement le même nombre de personnes chaque jour. Peut-être y a t il un événement important quelque part.


10.

Ce sont des civils qui m’ont embarqués. Ils sont beaucoup plus calmes que les autres. Celui d’à côté me regarde avec quelque chose qui ressemble à de la compassion, moi je regarde dehors. La ville défile encore à toute berzingue, gyrophare aidant.

Nous sommes tous quatre, trois plus moi, dans un ascenseur. Je suis épuisé, il y a longtemps que je ne pose plus la question de savoir où je vais, ce qu’ils font. J’ai un peu le tournis lorsqu’il arrête.

Un jeune en blouse blanche nous reçoit. Les autres signent des papiers et partent. Le blanc m’accompagne jusqu’à un matelas à même le sol sûr lequel je m’étend et m’endors, heureux. Tout mon corps se jette sur le sommeil, il l’absorbe, le mord à pleine dent, ingurgite et en redemande, pompe encore de l’énergie, se revitalise, recommence.


11.

Il y a des inondations, le bus traverse des flaques qui ressemblent presque à des étangs, c’est étrange une voiture immergé au trois quart. Le ciel est menaçant mais il ne m’empêchera pas d’arriver en avance devant ma salle de cours.

Je pense au revolver que j’ai obtenu contre toute mes économies, il n’est pas aussi gros que ceux de la télé mais il en émane une froideur qui me réconforte même maintenant, j’ai seulement peur qu’on le découvre, je ne veux surtout pas le perdre, mais il n’y a pas à s’en faire, il est en sûreté.

Nous sommes très peu à être arrivé aux cours, c’est les inondations.


12.

Je ne comprend pas où je suis. La pièce fait quatre mètres sur cinq. Je suis sur un matelas, c’est le seul objet. Il y a une grande vitre de Plexiglas, de l’autre coté la porte est fermée à clef, je suis enfermé. Il y a une lucarne sur la porte mais elle ne donne sur rien.

Je frappe à la porte. Pas de réponse. J’ai envie de pisser. Je frappe à la porte. Pas de réponse. J’ai envie de pisser. Je crie, je m’énerve, j’envoie mon pied sur la porte, je cours,  saute contre le Plexiglas, pied en avant, me retourne, une nouvelle tatane sur la porte. Je crie. Je ne supporte pas d’être enfermé, surtout lorsque je me réveille avec une grande envie de pisser.


13.

M.Maurice nous a tous convoqué, nous sommes dans une petite salle, autour d’une grande table. Il dit que la drogue c’est du shit et que shit c’est de la merde en anglais. J’ose pas rigoler, je trouve ça un peu pousser, mais les autres le font, ils sourient tous à la plaisanterie, alors je me force, il doit y avoir un semblant de sourire sur mes lèvres. Lui est ravi du jeu de mot. Il parle encore. De bonne ambiance, d’esprit d’équipe.


14.

La porte s’est ouverte et l’enfer s’est déchaîné.

Ils sont rentré à quatre, avant que je ne finisse de les compter j’étais au sol, trois me maintiennent, l’autre défonce mon estomac avec le talon, c’est des coups appliqués, je pense vomir à chaque fois, et ça recommence. Le talon veut rejoindre le sol en passant au travers de mon ventre.

C’est une double camisole qu’ils m’ont mis, elle immobilise les bras et les jambes. Je me traîne jusqu’à un coin de la cellule, je m’y pisse dessus, je reviens au matelas, laissant une traînée de pisse chaude et gluante derrière moi.


15.

Encore une journée qui se termine sans que je n’ai pu rigoler, toujours impersonnel avec tout le monde, j’en peux plus. Je sors de la chambre, descend, traverse la salle. Dehors je trouve un murs qui ne dérange personne.


16.

Je me réveille. Ils sont encore là, il fait sombre. Je suis terrifié. L’un parle de me mettre dans une autre cellule, avec une fille qui me ressemblerait, l’autre éclate de rire. Ils m’ enlèvent la camisole, me maintiennent ferme, je me débat pendant qu’une aiguille me rentre douloureusement dans la fesse droite, ils m’ont remis la camisole, ils sont partis.

Bruit, hargne, peur.


17.

Je donne des coups de poings sur le murs, la douleur est intense. J’allume une cigarette, essuie les larmes, cache les blessures derrière les manches, je remonte dans la chambre.


18.Des coups, des cris, des pleures. 

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19.

Je regarde par le balcon, jette ma cigarette dans la rue, sourie. J’ai réussi.

L’appartement est petit mais je suis chez moi. J’ai une cuisine, une salle de bain, un salon. Je suis content pour tout ça. Il y a une chape de plomb qui s’est levé. Dans ma tête l’étau s’est desserré, je regarde le futur, les voitures qui passent, les passants.

Je me prépare une tasse de thé, c’est chaud, sucré. Je fais des devoirs qui traînent depuis des semaines, je me lève, regarde encore par la fenêtre, c’est beau les lumières, les passants, c’est chez moi.


20.

L’expérience que nous faisons est enrichissante, les camions dans la rue m’apportent mon cadeau, il y a plein de cadeaux, six wagons, ils font le tours de la place, ils disparaissent de ma vue, ils sont en train de les monter, je crois qu’il y a un scooter, j’ai vu un scooter comme je voulais, c’est incroyable qu’ils aient trouvé celui que j’avais imaginé, incroyable. Il doit y avoir aussi des surprises puisqu’il y a plusieurs wagons, ou peut-être sommes nous beaucoup à tenter l’expérience, le scooter est forcement pour moi.

Il a envoyé du poulet par la lucarne, c’est encore plus difficile à manger sans les mains, mais j’y arrive, j’ai même réussi à me lever avec les jambes attachées, je suis sûr d’être parmi les premiers. Ils vont venir me féliciter, il faut que je trouve quelque chose à dire qui ne fasse pas trop pédant, mais pas de fausse modestie, il doit y avoir une phrase qui dise tout sans trop insisté, quelque chose de délicat après le service, il faut que je trouve.


21.

Matthieu a préparé un chouette repas. Il y a des pattes, de la tomate, du vin. Il parle, je rigole. Son amie est arrivée, elle a descendue la bouteille et m’a embrassée, ça fait tout drôle.

Je m’en vais pompette, la rue est joyeuse.

Chez moi, il fait un peu seul. Le jazz envahi ma pièce, peut-être l’immeuble, ça réchauffe et je m’endors un sourire au lèvres.


22.

C’est bien, je suis maigre, je suis en forme. Maintenant sans les menottes ni les camisoles, j’ai plein de possibilités.

Je vais aux toilettes accompagné d’un infirmier, ça fait deux jours que j’insiste pour y aller. C’est dommage, je n’ai plus envie de pisser. Je me lave, enfin me passe sous le robinet, c’est le geste qui importe, ils vont comprendre que je veux me laver, la pisse colle.

Maintenant il fait froid. J’aurais pas du me laver. Mais ils me donneront peut-être une couverture, mais non ce serait dommage de flancher maintenant, ils vont voir que je suis capable sans couverture.


23.

Les cours sont moins contraignants, j’y arrive plus tard. J’aime y parler, en philosophie on ne fait que parler de choses intéressantes, on a l’impression d’être intelligent.

Les notes de mon bulletin ne sont pas franchement mauvaises. Surtout les appréciations m’aident, toujours, cette manie de dire que je suis intelligent. Avec ça, je n’ai pas à discuter dix minutes avec l’assistant, il me fichera la paix, c’est certain. Il est bien celui là, il ne veut surtout pas s’occuper, savoir de quoi il retourne comme les autres dégoulinants, avec moi il est aux anges, trois mots toutes les trois semaines. Il parait que nous sommes dans un pays où l’on paye beaucoup de gens à ne rien faire, c’est quand même nettement mieux.

Le revolver se porte à merveille, il est toujours aussi froid, c’est son regard qui refroidit et me rassure.


24.

J’ai encore sommeil. L’autre à côté n’a pas arrêter de crier, c’est le début, c’est pour ça. J’ai essayé de le lui expliquer mais il n’entend pas, c’est le début, c’est pour ça.

Cette fois c’est partie, il faut que j’assure, c’est embêtant je n’arrive pas à rester debout mais ils m’ont laisser coucher dans l’ambulance, elle est propre et moderne l’ambulance, son lit est moelleux. Non il faut que j’arrête de crier quand il me pique, il faut que j’arrête, arrêtes!. Voilà c’est fini, toujours je crie, mais si on me connaît on sait que c’est pas grave, il ne faut pas crier, mais ce n’est pas grave, il ne faut pas s’endormir encore, je veux voir la ville, oui la radio de l’ambulance, je n’entend pas, je veux pas dormir, je ne crierai pas, certainement.


25.

Elle est jolie, c’est sûr. Je voudrais bien lui dire quelque chose de gentil mais même quand je suis heureux je dis des choses plutôt froides. Les compliments dans ma bouche prennent une autre forme, ils sont drôles seulement pour moi. Alors ce n’est pas la peine.


26.

Elle est douce. Elle refait le lit. Je n’arrive pas à l’aider, je me rendors. Il fait nuit au réveil. Dans le couloirs, il y a de la brume. Dans la salle qui suit il y a aussi de la brume, et des gens. Je suis assis à une grande table, j’ai une cuillère dans la main, il y a une soupe devant moi. Je finis par plonger la cuillère dans la soupe, c’est bien ça, il faut la remonter maintenant. Je m’endors. Il fait jours au réveil. Elle m’aide à avaler un liquide chaud et du pain, je crois. Je tombe lorsque je descend du lit, elle m’aide à m’y remettre.

J’y suis, je suis moi, et je... suis enfermé.

Je suis enfermé. Je me lève et retourne dans la grande salle, je m’assois à la table, ça fonctionne, on me sert à manger, plein de choses, solides liquides, sucré, salé.


27.

Je fait des courses, le supermarché est un peu oppressant. Je ne sais pas trop quoi acheter, je vaque dans les rayons et prend des choses un peu au hasard, l’endroit est un peu oppressant. Je pense que les pâtes et la tomate c’ est bien, j’achète du vin. Il y a plein de produits qui s’étalent à perte de vu, l’endroit est un peu oppressant. Je fais la queue, j’ai l’impression que je vais foutre le camps en laissant tout en plan, mais non, je tiens le coup, j’arrive à la caisse, paye et me casse. La grande surface était un peu oppressante.


28.

Je sors de table, requinqué. Je subtilise une petite cuillère. Rentre dans la chambre, le mastic est vieux, il saute lorsque je m’y attaque. Le Plexiglas ne se maintient plus que par l’équilibre, je le laisse là, je trouve un savon, me frotte le torse, ça glisse, parfait. Je retire la vitre, la tête passe donc le reste peut passer. Ce sont les pieds qui vont en premier, le reste glisse.

L’allée est déserte, il fait nuit, il fait froid. Pieds et torse nus, il faut que je file, vite. Je cours jusqu’à un portail, escalade. La rue, enfin. Je fais toutes les portes, une s’ouvre, c’est une DS, une ancienne, des cigarettes, un plan de Paris.

La valise de la moto est remplis de disques, j’embarque.

Penser, agir, vite. Il faut s’éloigner, trouver un métro avant que l’alerte ne soit donné. Si je savais qui et pourquoi je fuis...


29.

Je l’ai croisé. C’est une petite ville. Je n’ai pas aimé la voir entortillée avec ce garçon.

Je n’arrive pas à me concentrer sur ce devoir, je répète la phrase, tous les mots sont gravés dans ma tête et je la répète encore, ça n’avance à rien.

Je préfère ne pas sortir. Un thé, il me brûle la langue, c’est âcre. La phrase continu de trotter, se tourner et se retourner sans mener à rien. Je crois que je n’aime pas beaucoup la philo, ça rend obscure ce qui est simple.


30.

Je débarque sur une place. Il y a du monde, mon accoutrement risque de faire son effet, mon pantalon de pyjama n’est pas très bien taillé mais je sens que mon torse est fin et musclé, habillé.

Le meilleurs moyen c’est de foncer. La place défile, l’haleine du métro, les marches, le couloir. Je grimpe au dessus du portique, passe en trombe à quelques mètres de contrôleurs, dévale les marches, la sonnerie, les portes se referment derrière moi.

Mon corps est souple et puissant, bien ciselé, j’en suis fière. Maintenant j’essaye de faire semblant de rien, ce n’est pas facile, il faut que je trouve de quoi me couvrir, il faut que je sorte du métro qui peut être une souricière.

Je descend. Dehors il fait vraiment froid. Je suis seul dans ce quartier, je ne connais pas. Je poursuis les dessins muraux, reconnais des signes, ceux-ci m’amènent devant un pavillon. Je sonne. Après la première frayeur, le vieux m’écoute, sa femme me ramène un tricot et des chaussures de cuire. J’ai peur de les effrayer, je pense à ces attaques dans les journaux, je pense que je ne suis pas rassurant pour les autres. Mais maintenant j’ai chaud, encore plus que ce que la laine peut réchauffer, je suppose que c’est la solidarité ou la chaleur humaine.


31.

Pauline m’explique que notre âge est fait pour les découvertes, je n’aime pas l’imaginer au milieu de pleins de bittes. Elle me dégoutte un peu. Elle continu de parler de partouzes, je continu à écouter sans plus très bien comprendre.

Peut-être veut elle que je lui saute dessus sans commentaire. Mais là, comme ça, ça me dit moyennement, et si elle m’envoie pètre, je ne sais pas. Mais si elle s’en va je vais bander comme un cheval en regrettant. Aïe.


32.

Je suis perdu. Je suis déjà passé par là. J’aimerai comprendre quelque chose mais il n’y a plus moyen. Ça tiraille dans ma tête. J’ai mal. Je marche sans plus savoir où je vais, il n’y a plus de signes, pas de graffitis fait par les jeunes non plus que les autres sur les panneaux, fait par les vieux. Je suis perdu et j’ai mal à la tête.

La douleur est aiguë, elle s’amplifie et me submerge. Je crie en me tenant la tête à deux mains. Le boulevard est vide, je cours, crie, j’ai mal, je ne sais plus quoi faire. J’arrive à une cabine téléphonique, une fille l’occupe, je lui demande de l’aide et continu ma course sans but. Un camion de pompiers me dépasse et arrête en trombe. Il y a six gars autour de moi, j’essaye d’expliquer au plus gradé que j’ai mal à la tête mais que je m’engagerais volontiers chez eux. Parce que les bleus de la police sont des sales cons et que les blancs de l’infirmerie valent pas mieux, j’aime bien la République, je veux travailler chez les rouges.

Mais je me retrouve dans une patrouille de bleus, les deux devant ont l’air singulièrement idiot, c’est des gros du terroir qui me ramènent chez les blancs où m’attend une sévère aiguille pleine d’un liquide qui m’emmène loin, loin. La douleur dans la fesse me transperce l’âme mais déjà ma tête cesse de tirailler, je pense avant de sombrer que désormais il faudra des piqûres dans les fesses pour laisser en paix ma tête, je me laisse aller, ça descend, c’est enivrant, je ne m ‘en sortirai plus.


33.

Depuis que la télé est rentré dans mon appart je la regarde sans arrêt, je ne me souviens pas l’avoir éteinte depuis son arrivée. Il y des publicités sur ce qui va passer après alors j’attend qu’arrive après et à nouveau les publicités m’annoncent le programme qui suit qui a l’air encore mieux. J’ai les yeux douloureux, l’estomac aussi des cochonneries chocolatées que j’ai avalé par paquets. Je me dis que les informations passées j’éteindrais mais finalement je regarde des chasseurs expliquer comment poser un collet au milieu de la forêt, les suivants ont des gros fusils, je n’ai pas réussi à saisir ce qu’ils chassaient, mais la télé est resté tel quel. Au réveil, je trouve plus intéressant ce qu’elle raconte que ce qui m’attend dehors, je décide d’être malade, je ne sors pas. C’est bon d’être malade, de rester devant la télé, d’être vautrer jusqu’à l’écoeurement. Il faudra trouver un moment et l’énergie pour aller chercher d’autres cochonneries à avaler qui ne demandent pas de cuisiner, pas d’autres efforts.

Je ramène encore du chocolat, mais aussi des charcuteries, je sens le mélange dans mon ventre, c’est spécial.


34.

Aujourd’hui le rouge à lèvre lui mange toute la bouche jusqu’au nez, le crayon noir sali le contour de ses yeux, avec ses cheveux noirs en bataille elle a l’air d’une sorcière. Je préférais hier, elle était terriblement belle en Princesse Noire. C’est comme ça avec elle, tu ne sais jamais à quoi t’attendre, c’est gênant pour les monologues que je prépare dans lesquels je la convainc de ma responsabilité, je parle toujours à une autre. Si j’arrivais à lui dire tout ce que je prépare, elle en verrait de la cohérence, à chaque fois je me retrouve à bafouiller quelque chose d’autre, embarqué sur des terrains plus glissant je dégringole allègrement et le temps de m’en apercevoir je suis recalé, condamné à préparer la prochaine session. C’est ma psy, c’est une salope.

Mais elle verra bien la prochaine fois. Si je pouvais lui parler, maintenant, juste une deuxième fois, là, je sais ce que je veux dire. Je sais qu’elle est encore là. L’infirmier me répond que je ne la reverrai que lundi, je sais que le lundi elle ne vient jamais, ça veut dire mardi, trois jours à ressasser ce qui maintenant est limpide, ce sera terriblement emmêlé.

Bon, il ne faut pas que je pense, comme ça je serai présent, on ne peut rien reprocher au présent, si je ne vais pas dans le confus passé ou le brillant avenir j’aurais les pieds bien amarrés au sol de maintenant, c’est cohérent ça, oui, c’est logique pas de confusion avec le présent, alors il ne faut pas penser, penser c’est une machine dangereuse qui fait aller dans les temps pas contrôlables, mais le présent ? ben oui, le présent, c’est simple, c’est maintenant, ça je viens de le dire, il faut pas que je m’embrouille.

C’est pas compliqué, elle va comprendre, oui, c’est simple, je ne suis pas fou parce que sinon je ne m’apercevrai pas que vous pensez que je le suis, c’est un problème de perception la folie, moi je n’ai pas de problème de perception, et mes pensées sont cohérentes, elles sont rapides mais logiques, la logique dans la vie n’a pas besoin d’être collé, c’est pas la peine de faire des pyramides puisque le présent n’est pas construit comme une dissertation avec des introductions et des développements conclusions, non, le présent il est plein de choses en même temps, alors pour y être il faut le parler, parler en même temps, la cigarette, le bossu de la chambre à coté, la peinture qui essaie de me recréer en me fixant, les yeux salis par le crayon, le parapluie cassé, la blouse blanche, les chaussures, la réduction des doses, le changement d’heure d’été, la fille qui est partie, le bus dans lequel j’étais. On peut parler du passé mais dans le présent, c’est construire qui fait aller dans les autres temps, et là on ne s’en sort plus. C’est pas compliqué.

Il faut juste que je lui dise et je sortirais immédiatement, fini l’enfermement.


35.

A part les lunettes vaguement dorées, tout est gris; ses cheveux, ses yeux, sa peau, son costume. Bizarrement il a l’aire sympathique, je ne sais pas, compréhensif. Je ne me laisse pas démonter, d’ailleurs je connais très bien ce texte, Marx fait partie des quelques uns dont j’ai compris ce qu’il voulait dire, il faut seulement que l’autre comprenne que j’ai compris. Je me lance dans un discours un peu décousu mais remplis de sous entendus qui veulent dire que nous on sait de quoi on parle, j’aime pas trop ce genre de promiscuités mais ça en vaut la peine. Si je lui emballe bien la chose, ce petit rabougris peut très bien me faire sortir victorieux, je ne me rend pas très bien compte de ce que ça signifie, mais pour en revenir à une idée simple: c’est mieux que je réussisse à que j’échoue, ça c’est simple donc pas d’hésitation. Il ne peut plus m’arrêter maintenant, je lui explique aussi le reste de Marx, il y a plein de choses que j’ai compris, vous voyez bien. C’est pas sûr que tout ça lui plaise, bon, après tout j’étais certain de rater ce fichu bac, d’ailleurs il y a des semaines que tout ça ne m’intéresse plus du tout. Peut-être que si j’admet la réflexion qu’il fait ça lui fera plaisir, mais non il faut continuer sur la lancée, le contredire, ça me réussit toujours et puis comme ça il sera convaincu que je sais bien ce que je veux dire, que j’ai une opinion claire. Foutu rattrapage de merde, j’aurais dû refuser de venir, je me serais pas ronger les sangs ces derniers jours et je ne serais pas là à me demander ce que peut bien cacher cette petite tête de vieux. Maintenant c’est trop tard, plus moyen d’en dire plus, il a décidé que le temps est écoulé, j’aurais mieux fait de lui dire que Marx est un économiste, il aurait apprécié, quoique si ça trouve il prendrait ça comme une offense puisqu’ils enseignent ça en philo, oui j’ai bien fais de ne pas lui dire ça.


36.

Je n’ai plus rien à dire. Tout cela semble être une plaisanterie dont j’aurais plus tard la nostalgie. Maintenant la réalité a repris son droit. Mon médecin acquiesce avec un sourire désabusé.

Je sors définitivement. 

On m’attend pour fêter mes dix huit ans. Je suis gros, plein de cheveux, je n’ose pas montrer que je suis triste et perdu.


37.

Je fête tout seul mes vingt ans, je les regarde passé plutôt. Il est bientôt l’heure. J’ai réussi le bac, mathématique et philosophie je trouve que ça en jette.

Je vais chercher mon flingue, maintenant je l’ai bien en main.

                Texte publié dans la revue Chimères n°51 (automne 2003)

             

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22 décembre 2005

Valse sautillante.

Une rafraîchissante envie d'oublier la fatalité. Comme un courant d'air avec lequel je voudrais prendre un nouvel envol. Probablement une illusion aussi légère et inconsistante que l'air frais qu'elle répand. Peut-être, et alors? Inviter une illusion à danser une ronde, c'est toujours mieux qu'embrasser la mort. Elle sautille de joie, se trémousse et m'entraîne dans une course un peu folle. Ses rires ressuscitent des pompes qui se remettent à battre, un sang neuf se répand. La rigidité doucement se rompt et sa tête s'étend sur mon torse. Tous les canaux asséchés se  remplissent et mes bras se referment autour d'elle. La cervelle ralentit son labeur mortifère et mon visage cherche entre ses cheveux. Les pensées s'estompent et les corps se confondent. Un temps, une sphère formée des deux ventres reste en suspend. A quelque mètres au dessus du sol ils contemplent leur étreinte, leur chose à eux. Se sourient oui. Se questionnent aussi, incrédules.

21 décembre 2005

Au présent, t’es cadavre.

Dix ans à chercher un argument convenable. « Dix ans à chercher un argument convenable », la phrase me tire du lit, elle est passé des limbes de mes rêves matinaux à la pleine conscience. Maintenant il n’est plus possible d’y échapper. Je la contourne tout de même, le temps de préparer un café, la bouilloire, l’écoulement de l’eau chaude, l’arôme qui se dégage durant l’infusion, je fais attention à toutes ces conneries, il paraît qu’on trouve le bonheur de vivre dans les détails de la vie quotidienne, moi ça me permet de ne pas garder cette maudite phrase dans la tête. Et déjà je pense à autre chose, déjà je pourrais retourner me coucher. Mais non, le mal est fait, le réveil consommé. Alors je fuis, si ce sont bien dix ans qu’est ce qu’un jour de plus?

La douche fini de me sortir de l’embarras, je peux m’habiller en pensant à dix minutes plus tard, quand je serai dans un bus qui m’emmènera. Je reprend du café, je relave mes dents et encore une gorgée de café pour ne pas rester avec le goût de dentifrice dans la bouche, et toujours pour cette raison j’allume une cigarette en ouvrant la porte. Dans la rue je me demande faussement pourquoi je suis sorti si tôt. Je salue un voisin et remonte le boulevard endormi.

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Dans le bus je compose un visage fermé, met des écouteurs et un tango poignant fait semblant de m’emmener loin, très loin. Un gros livre rebutant dans la main achève mon tableau. Je ne lis pas, je n’écoute pas, tout occupé à être repoussant, quelque peu méchant, en tout cas agressivement défendant. Personne ne s’assoit à côté de moi.

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Arrivé à la bibliothèque, je me dirige immédiatement vers la section Histoire, je choisi six livres dont deux énormes ouvrages totalement inutiles à mon travail. Je regarde les tables de matière, les couvertures, retourne le pavé, lis une phrase, retourne à la table des matières, cherche ma bibliographie : oui c’est bien ça, même titre, même nom, je me lève, un café vite!

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J’entend des lambeaux de phrases idiotes me rappelant sans nécessité la bêtise ambiante : « il est totalement inadmissible que nous cautionnons ce genre de position » « Oui, il a fallut que je passe toute l’après midi avec mes parents, l’horreur! t’imagines? » « Tu l’aurais vu avec son pantalon couleur merde et son visage mal rasé, genre retour du baroudeur, à croquer! » « Ben, finalement je me suis décidé pour un chapeau vert fluo », « Et puis ce n’est qu’une nouvelle forme d’exploitation » « Au fait tu as eu combien au partiel sur le structuralisme? » «  Il lui déclare son amour et l’épisode s’arrête là, terrible ! Non? », « Mais peut on dire que la morale est l’excuse des faibles? ». Je commande mon café. Une cigarette sans filtre, plaisir de cracher les petit morceaux de tabac, contemplation les yeux dans le vague.

Et je savoure, le café, la cigarette, le vague.

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Une fille vient me dire bonjour sous prétexte qu’on a couché ensemble voilà au moins trois semaines. Elle rit, elle m’énerve, elle rit pour rien. Femelle sans cervelle, idiote sans charme ha! Ha! Ha!, gloussement agressif qui retourne mes nerfs. Mais plutôt que lui envoyé une mandale, plutôt que l’attraper par les cheveux et lui écraser la gueule contre le parapet, plutôt que lui arracher son rire et toutes les dents avec, je contracte la bouche, les joues, les sourcils et le cou dans une méchante grimace. Je dois faire peur lorsque je lui dis de la boucler (texto: « boucles-là »). Mais non, elle n’a pas peur. Quelqu’un a dit que la connerie, lorsqu’elle atteint un certain niveau, ressemble à du courage. Elle ne s’arrête pas, au contraire, elle doit penser que je plaisante. Alors je me tais en me faisant mal à tous les muscles du visage à force de contractions. Enfin elle a trouvé quelque chose d’extrêmement important à faire pour laquelle elle est déjà en retard depuis un quart d’heure, houlalala, elle s’en va en faisant une mimique désolée sensée, je suppose, s’excuser de ne pas prolonger cette charmante intimité.

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Tout mon corps se relâche, je m’endormirai volontiers de plaisir.

A la vue de Jeanne j’envisage un voyage. La solution. L’intermédiaire, à mi chemin entre une journée vaine à courir derrière des chimères et une balle dans la tête. Une solution douce et soyeuse, héroïne je chérie ton nom. Jeanne me dit que non pas maintenant, que plus tard, je dis oui à plus tard.

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Je retourne à ma bibliothèque avec quelque chose à faire et le fais, expédie le monstre se traînant depuis des jours en trente minutes, ne pense qu’à ce que je fais pour ne pas penser à plus tard. Et tout à coup mes recherches sont finis, tout est claire et limpide, les mots se bousculent pour arriver pile à leurs places. Je sais ce que je dirais, je sais comment je le dirais.

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Il reste du temps avant plus tard. Je dois d’abord aller dans une salle de classe présenter le fruit de mes recherches. « Fruit de mes recherches » c’est ainsi que l’on dit dans le monde universitaire, et on dit « monde universitaire » pour bien le distinguer du vrai monde. En fait de recherche il s’agit bien plus d’une expérience menée par un scientifique, mon professeur. La vraie recherche c’est lui qui la fait et moi je suis aujourd’hui son cobaye. Mon travail n’est qu’une embûche pour que lui puisse voire comment réagit la sourie blanche. J’ai froid dans le dos à me penser comme une sourie mais j‘y vais.

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« La vision que l‘on peut avoir de ce règne subit une triple déformation par rapport à la réalité de ce règne.. ». Pas possible que je sois en train de dire ça. Je lève les yeux : personne n‘écoute je peux continuer: «  dans un premier temps nous nous attacherons à cette personnalité singulière en bute avec une idéologie dominante, une seconde approche nous mènera… » Même le prof, le scientifique sensé s‘intéresser à son petit cobaye, est sur le point de s‘endormir, heureusement il semble se souvenir qu‘on le paye pour être là, ça le requinque cette idée. En fait, je ne crois pas qu‘il pense encore à ce salaire devenu aussi naturel que mes mains pour moi, je ne pense jamais à mes mains. En tout cas il recommence à prendre des notes.

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Je sors de là dans un état second, complètement vané. Le café face au vide n’y fait rien. Un étudiant verbeux (suis-je un étudiant verbeux?) vient commenter mon travail oral, il doit lui manquer une case, ce doit être un illuminé, mais de quoi parle t-il? J’acquiesce jusqu’à ce qu’il me prenne pour un débile profond et s’en aille, dépité. Je viens peut être de perdre une grande amitié construite autour de discussions passionnantes traitant de la fonction sociale de l’historien dans une société où le fuite en avant est le moteur et seul mot d’ordre. Et ce bon ami m’aurait avoué, après des années de doctes discussions hebdomadaires, être puceau et ne jouir à l’aide de sa main que sur des pavés théoriques, aux milieux de raisonnement sublimes. Je devrais peut-être le rappeler?

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Plus envie de rien. Rester dans cet état, planté là, plus un pas en avant en arrière, rien. Mais je me charge de mon corps que j’emmène à pas lourds hors de l’enceinte de la fac. Les regards bourgeois enterrassés me vrillent de part en part, voudrais disparaître, ne plus être un instant, absorbé par le sol, que ces regards glissent et ne me touchent plus. J’arrive à ma terrasse et prend la mesure du malaise, une nausée qui se retourne dans l’estomac, mal être général, envie de vomir, pas les moyens de vider cette bile. Je commande une bière que je ne veux même pas voir. Je la bois pourtant, et la seconde  répand son bien.

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Géraldine s’assoit en face moi, elle me regarde amusée, elle doit se dire que je suis un imbécile. Mais lorsque je la vois je ne maîtrise plus ma joie qui déborde maladroitement.

Je lui explique que les explications ne sont plus de mises car il y plus d’un siècle que nous avons dépassé toute raison, que je ne suis pas d’accord avec la politique des pays industrialisés, que les humanitaires feraient bien de commencer par ne pas voler les pays pauvres avant de les aider, que son mec est un con, que le cinéma contemporain n’a rien à envier à un soi disant âge d’or. Je lui raconte que décidément ça n’avance pas, que plus je m’avance moins je comprend, que ces dernières années ont été compliquées, que j’aimais une femme, que les relations sont trop complexes, que je suis impuissant, que peut-être je devrais coucher avec un mec, qu’il faudrait que je travail. Je lui dit qu’elle devrait continuer pour plusieurs raisons que j’énumère et développe, que de toute façon c’est pas facile, que ça ne sert à rien de se faire du mal, qu’elle a tout pour faire autre chose, que oui.

Mais non.

Alors nous nous levons, traversons la ville à la recherche d’un article impossible à trouver, des magasins, des libraires, des rues pleines de choses que nous regardons en opinant, oui, non, peut être, sourires, grimaces, des musiciens, un mime, un manège ancien, elle met un chapeau, une casquette, nous allons essayer des jupes, la vendeuse me les refuse, Géraldine les met pour nous deux.

Son téléphone sonne. Elle s’en va. Il fait nuit, je suis illuminé.

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Mon téléphone sonne, Jeanne est chez elle, elle m’attend avec une voix langoureuse d’outre tombe (outre tombe? Oui, de loin). Je marche en pensant à Géraldine, la soirée est belle. Mes pas légers et appuyés.

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Comment fait elle pour obtenir un silence si absolue dans son réduit? Ce silence est une merveille qui s’immisce dans tout le corps en retirant les stress, les peurs, les angoisses. Et puis elle appuie sur une touche, une musique se déploie doucement pendant que j’entreprend mon ascension. Le son se saccade progressivement, lorsque le rythme arrive à son paroxysme j’envoie mon estomac dans la cuvette, toute la saleté sort de ma bouche dans un jet coloré et rassurant. Enfin le bien être. Je refuse à nouveau la mixture de la seringue, frousse de l’aiguille, et satisfais mes narines affamées, me laisse aller, laisse la laisse, laisse aller. La chambre change de forme, après le carré maladroit du départ elle commence une circonvolution aboutissant à un cercle parfait, une soucoupe qui s’allonge bientôt en un calisson soyeux. Jeanne est la douceur même, de sa face tirée par des os saillants sort des tonnes de tendresse m’envahissant joyeusement.

Je refuse de rester. Bien sur que je fais ce que je veux (en doute t-elle?)

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Les rues de cotons sont difficiles à maintenir dans leurs formes pierreuses d’origine, elles me mènent tout de même vers la gare routière. Là, le goudron de l’asphalte et les vapeurs pétrolifères m’attaquent immédiatement. Je me sens attraper un cancer que j’enraye en allumant une cigarette. Elle provoque immédiatement un hoquet qui se transforme en une quinte de vomissements. Il n’y a qu’un liquide incolore et douloureux. Je jette la cigarette éclaboussée, en rallume une autre, le bus arrive.

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Il va trop vite, le chauffeur doit être fou, ou peut être est ce la mécanique? Un piston emballé, entraîné dans un délire de liberté, il oublie le reste de la machine qui pourtant s’attèle à lui, et tous les machins de la machine courent derrière ce pauvre piston s’épuisant dans une fuite impossible, toujours rattrapé par ses congénères ferreux, huileux et bruyants. Il faudrait qu’ils se calment tous, chauffeur, piston, mécanique, calmez vous. Mais mon estomac proteste à peine, les lavements de la soirée lui ont largement suffit. Et puis tout se termine, il faut sortir du bus.

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Le boulevard est gerbant, sa crasse se jette sur ma vision encore douce pour la terrasser dans du vieux cambouis dure. Ma rue est pleine de rats dont un qui, au lieu de s’effrayer et fuir comme un bon rat, a tout l’aire de vouloir me sauter dessus toutes dents dehors, c’est moi qui fuit, et il est tout fière pendant que je balise avec mes clés qui ne veulent pas renter dans la serrure.

Je me couche sans dormir. Pas d’argument pour aujourd’hui, juste la force de l’inertie.

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21 décembre 2005

Déprime à bord

Déprime à bord. Jour  moins froid, la nuit vient rapidement, le ciel et les édifices parisiens, quelque chose de beau et inutile. Là, traversant le pont, je pense à ses yeux verts, je voudrais pas être seul. Je voudrais quelque chose, une chaleur dans le ventre, un réchauffement à l'intérieur, une main à étreindre, des lèvres qui chuchotent dans les oreilles, quelqu'un qui tient à moi, me le dise enfin. Mais non, c'est le pont, mes pas perdus, du bitume et des édifices publics, des passants et la Seine. Seulement cette esquisse qui se dessine dans le vide, plus douloureuse qu'apaisante, un manque. Une mélancolie passagère aussi, l'habitude des femmes qui ne s'arrêtent pas. Le durcissement des sentiments recroquevillés, une sphère roide sous laquelle se trouve la tourmente, un magma d'amour, de tendresse, d'énervement, de cris, de foutre, de larmes, d'attachement, déchirement. Un liquide qui attend de se répandre.

                                                                     .

Le pont est passé, une bouche de métro et  la fatigue, les agressifs pardon je passe, bouscules-moi connard, et cette absence recouverte par le bruit strident du transport, temps sans temps, hors temps, gens impassibles et ailleurs. Têtes de félés, tronches aspirées par l'épuisement, yeux exorbités d'une connerie malsaine où papillotent des prix en solde, absence partout.

                                                                     .

Une jeune fille dort, elle est belle, des lèvres bien remplies et des grands yeux fermés, elle rêve quelque chose de moins triste. Et puis elle les ouvre et son regard se charge de hargne, de désenchantement ou d'agacement, ils sont vitrifiés de veines rouges. Elle n'est plus belle. Mes oreilles éclatent à nouveau du grincement des roues de fer sur les rails. Le décorum high-tech ne change rien à l'affaire, c'est bien du fer qui crisse, les vitres, le plastic et les sièges nouveaux n'enraillent rien. Peut-être un suicide au bout du couloir, à la fin de la rame, de mon trajet. Non, c'est un autre, pas encore moi déchiqueté, interrompant  la machine quelques minutes, le temps de récupérer les morceaux, quelques uns en tout cas, remplir un sac poubelle et un dossier administratif. Un nouveau dossier, le dernier. Ce n'est pas encore moi, alors le douleur continue, l'ennui, l'espoir, le dégoût, tout cela encore un jour. Un jour pour rien, hier demain. Je t'aime peut-être, mais c'est trop tard, tout est passé, lessivé, reste rien à partager. Un métro à passer, c'est tout.

19 décembre 2005

Etat d'esprit.

Fridge désert, plusieurs jours que boites de conserve et surgelés repoussent l'échéance. Une expédition chez Supermarché s'impose. En chemin je cherche de l'encouragement, pense à une fille inconnue dans la même situation. Chez elle cette punition périodique se transforme en balade sensuelle. Pas bien saisie comment elle se débrouille mais les rayons de la grande surface prennent l'aspect d'un terrain de chasse où chaque consommateur devient une proie aguichante, perverse ou inexperte, toujours capable de provoquer un plaisir équivoque.

C'est donc d'un pas conquérant que je passe la porte de verre électrique. Je trouverai, outre de quoi manger durant les prochaines semaines, des femmes de tout âges et saveurs entre les rayons frais, surgelés, cosmétiques et autres couche-culottes. Surtout ne pas s'inquiéter de l'énorme mastodonte noir qui me fusille du regard pour une raison qui lui appartient, j'ai peut-être la tête d'un voleur potentiel, ou alors il regarde tout un chacun ainsi afin que nous soyons prévenu. Peu importe, je suis là pour voir de jeunes mères dubitatives devant la saveur nouvelle génération des petits-pots, des adolescentes choisir la petite culotte la plus affolante que recèle le magasin, des femmes qui n'attendent plus rien que de vivre quelques instants tranquilles avant la fin, d'autres cherchant un prince dans une boite de chocolat. Que sais-je? Justement, voilà tout l'intérêt qui s'étend devant moi.

Reste que des hauts-parleurs me distraient de la tâche, il paraît que c'est bien moins chère aujourd'hui sur une série de produits difficiles à identifier, il faut aussi remplir un formulaire  pour participer à un grand jeu où des cadeaux encore moins identifiables sont à porter de main. Il y a aussi des écrans qui clignotent, ils en mettent plein la vue. Oui, il y a bien une jeune fille devant un de ces écran, on lit dans le froncement de ses sourcils la promotion exceptionnelle mais néanmoins pas convaincante.

Un peu perdu, je me dirige vers ce qui ressemble à de la lingerie. Il y a une foule informe, du mal à distinguer les culottes blanches pure coton des satins pourpres, je ne vois que des tissus et des mains qui se disputent, fébriles, une guerre de mains et étoffes.

Ecœuré, je vais voir les pâtes, je crois que je leurs voue un véritable culte, ces paquets bleus me rassurent, apparaissent des lardons, des crèmes fraîches, des tranches de saumon, des oignons qui ré-animent mon esprit complètement abattu par les petites culottes.

Bon, et puis je n'oublie pas le reste de mes courses de survie, café cætera.

Je n'ai humé ni la douceur d'une jeune fille devant un savon suave qui satinerait sa peau pour de tendres caresses, ni l'odeur âcre d'une femme dévoreuse, pas plus que le lait caillé des mamelles d'une multi-mère.

Me retrouve avec mon frigo plein et une furieuse envie de m'insérer dans l'état d'esprit de cette fille inconnue pour les prochaines courses.

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18 décembre 2005

Premier jour, c'est quoi un blog?

Faudrait se choisir un jour plutôt ouvert, je veux dire pas trop déprim, pour commencer. Sinon, ça veut dire quoi? Se raconter sur le point de se flinguer, pas très sain, ni pour celui qui se raconte, ni pour qui lit. Lire quelqu'un qui vous dit qu'il prépare la corde, c'est un peu bizarre, une curiosité malsaine, l'attente de la suite est forcément animé par cette question un peu frustre : sera encore là? C'est des conneries ou bien?

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En fait, quelqu'un qui parle des étages qui le séparent du parapet est surtout ennuyeux. Rien de plus banal et chiant que le suicidaire. Pas que le suicide soit ennuyeux en soi, non, pas forcément, et même ce pourrait être presque sympa, on pourrait imaginer un accompagnement dans cette mort choisie, un peu comme l'humanité que l'on prodigue aux vieux qui souffrent. Ce pourrait être très humain, tout ça, la mort n'est pas forcément glauque. Mais le suicidaire est chiant. Un peu mono-maniaque, lorsqu'il parle d'une corde, il y a une potence improvisée qui se dessine autour, s'il traverse un pont forcément il saute, de la chaire sous des roues, du béton qui absorbe les fluides, une charogne sur la route.

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Tout ça pour dire qu'il vaudrait mieux commencer à raconter ses petites histoires, un jour où il y a une fille qui a illuminé la vie. Quoique… dans le genre mono-maniaque, c'est peut-être pas mieux, se taper les yeux tout beaux qui font un effet pas possible, y a tout qui se liquifie à l'intérieur, y a des sentiments dégoulinants ou alors tout de suite des prises de têtes, qu'est ce qu'elle pense? qu'est ce qui se passe derrière sa tête quand je lui dit bonjour?

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Bref, c'est peut-être pas plus intéressant, chacun connaît le suicide ou l'amour. Ou non? Je sais pas, mais on cherche quand même quelque chose de pas banal, ou bien? Peut-être bien que c'est précisément la banalité qui nous attire. Lire la banalité qui occupe une autre personne c'est rassurant, ça devrait vouloir dire que je suis pas si dans le panade que ce que je m'imaginais. Chez l'autre aussi il se passe rien : deux secondes il pense à se flinguer, puis à une jeune fille croisée, et puis il se prend la tête inutilement, aussi vide que par ici. Bientôt, il choisira une drogue, alcool, n'importe quoi pour ne plus y penser. Comme moi.

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Mais peut-être que c'est précisément voire autre chose que ce qui se passe ici, dans ma tronche, que je cherche. Oui, quelqu'un pour qui rien ne se présente de la même façon, quand bien même il entrerait dans un métro dans lequel j'ai moi-même attendu la prochaine station, lui aurait déclamer des poèmes –en fait non, pas des poèmes, des publicités, si, si je vous assure, des pubs, il a pris un magazine-torchon-publicitaire et a lu exactement ce qui y était dit: l'effet est immédiat, la connerie publicitaire est si énorme que, forcément, on rigole. Il y avait un aveugle qui a piqué une crise de rire, il l'attrape par le bras pour le remercier : on ne s'est pas emmerdé durant cinq minutes de métro lui dit-il. C'est moins banal que ma station toujours en attente. Même temps mais différend, plus vite. Oui, l'ennui est long et l'équation s'inverse. Non, non pas "long est l'ennui", mais "le non-ennui n'est pas long". Ou l'envie est courte.

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Envie fugace de raconter des histoires, le temps de s'y mettre c'est fini. Alors rien, l'attente de prochaines envies, celles-ci s'espacent car si on les laissent passer elles ne se reproduisent pas et la stérilité de l'ennui envahi l'ensemble. On retrouve la corde avec l'autre qui ne sait rien penser d'autre qu'à son corps sans vie. Je suppose que c'est comme un excitant, la mort c'est radical, une illusion excitante.

Après, quoi? Si ce n'était pas si commun, si il y a une chose de banale c'est bien la mort, rien de plus répandu sur la Terre. C'est probablement pour cette raison que le suicidaire est un peu ridicule : il est obnubilé par un objet que nous avons tous à porter de main. Et il a l'aire d'y porter une attention soutenue, comme si c'était vraiment exceptionnel ce qu'il a devant lui. A la rigueur, un mec regardant sa bite avec la même attention est un peu moins idiot, il peut toujours dire que la moitié de l'humanité n'est pas pourvue du même attribut, et on peut le laisser tranquille, ébahi devant sa découverte. Mais un suicidaire regardant sa mort, c'est vraiment trop absurde.

Oh, et puis laissons-le. Faudrait pas qu'il nous bouffe notre temps à nous, nous qui savons que la mort est banale et cherchons le non-banal. Qu'avions nous d'autre? Ah oui, la jeune fille. Bon, alors la jeune fille… va se suicider en pensant à cet autre obnubilé. Il semblerait que l'un et l'autre n'aient pas beaucoup d'imagination aujourd'hui. Peut-être qu'il fait froid et que les idées convergent, manque de quelque chose, assez déprimant pour ne même pas faire ça ensemble, je ne sais pas, genre, je t'aide tu m'aides et notre sang se rejoindra dans la même flaque. Romantique au moins. Mais non, rien de rien, elle a choisie les médocs, lui s'est cassé une jambe en sautant. Sont tous les deux dans des chambres d'hôpital, elle a des tuyaux plein la bouche et lui, dans le plâtre jusqu'au cou. Sont même pas appliqués. Valent pas un blog.

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